jeudi 11 octobre 2012

Covers by KEEF

Tous les collectionneurs de disques sont masochistes dans l’âme. Sinon, quelle autre raison pourrait justifier la dépense d’une partie de son salaire simplement pour acquérir, par exemple, une copie du 33T …And Gordon de Gordon (Waller) – au demeurant, un album tout à fait dispensable –, exceptée celle que le disque porte le numéro de série Vertigo 6360 069 ? Et, de fait, demeure indispensable pour tous les collectionneurs du label Vertigo ? Heureusement, ces monomanies ont souvent un bon côté : ces collectionneurs "exclusifs" pourront être agréablement surpris en acquérant un disque qu’il n’auraient pas pensé acheter par ailleurs, et qui, de plus, s’avèrera plus que satisfaisant du strict point de vue musical. Voire nettement supérieur.
            Entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix, presque chaque grande maison de disques chercha à développer une filiale – parfois plus d’une – où la musique rock était enfin prise au sérieux en tant que forme d’art, et par-là, se trouvait prête à offrir au public de l’époque un label de « qualité » via un emballage élaboré et habile, en plus d’opter pour des contenus musicalement plus aventureux. « Progressif », dira-ton parfois. Ainsi, en quelques mois seulement, Decca accoucha de Deram. Harvest sortit de la cuisse d’EMI. Quant à la créature Vertigo, elle fut l’œuvre du Dr. Philips. Mais les modes, comme le temps, passent, évoluent. Le concept ne dura logiquement qu’un temps, corseté entre le raz-de-marée psychédélique et le mastodonte glam. Pourtant, il est indéniable que certaines des réalisations nées sous ce nouveau soleil tiennent encore aujourd’hui autant la route qu’alors.
             Les raisons pour lesquelles un label devient un jour collectionnable sont déterminées par un large spectre de raisons – trop diverses et variées pour se lancer ici dans une analyse poussée. Toutefois, il y a peu de chance de se tromper en affirmant que Vertigo figure au panthéon des labels de musique rock les plus recherchés – la plupart des premiers disques parus sur le sol anglais sont aujourd’hui devenus des collectors, et ont vu leurs côtes s’envoler en l’espace de deux décennies. D’une certaine manière, on peut tout à fait considérer que Vertigo fut au Rock l’équivalent de ce que Blue Note fut au Jazz. Or, de nos jours – les connaisseurs vous le confirmeront –, il est beaucoup plus difficile pour un collectionneur de trouver une copie mint d’un album de rock progressif – ou psychédélique – anglais que son équivalent outre-Atlantique. D’une part en raison des quantités produites sur le sol américain ; mais également parce que les pochettes en question n’étaient pas assez résistantes pour survivre. À l’inverse de leurs homologues US – factory sealed –, voire des françaises – laminated –, les pochettes de disques britanniques des années 70 semblaient au contraire davantage poreuses, vulnérables à l’humidité et aux vicissitudes du climat local. En l’occurrence, une copie originale du Scott 4 aura toujours tendance à rapidement succomber à la moite décrépitude des meublés anglais…
             En irait-il de même des visuels ? Comment expliquer que, en comparaison des exemples américains les plus élaborés de la fin des sixties – qui possèdent une qualité de lumière et de couleur particulière sans doute due au soleil de la côte Ouest –, la version britannique nous apparaît invariablement humide et souvent morose ?…
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 Dans ce cas, il serait impossible de raconter l’histoire du label Vertigo sans réhabiliter un nom par ailleurs rarement mentionné dans l’histoire du psychédélisme, un personnage insaisissable dont le rôle fût au moins aussi important que n’importe quel chercheur de têtes, ingénieur, responsable de la communication, producteur et même musicien, dans l’arbre généalogique de Vertigo. Et bien que celui-ci fût rarement vu ailleurs qu’écrit en corps 12 au dos d’une poignée de pochettes d’obscurs disques de rock progressif, ce nom en quatre lettres mérite sans nul doute sa propre place dans le Rock’n Roll Hall of Fame… Ce nom, c’est KEEF.
            Né en 1947, Keith Macmillan, plus connu sous le nom de Marcus Keef – ainsi renommé afin d’éviter toute confusion avec un artiste homonyme rival –, voire « Keef » tout court, figure assurément au panthéon des sleeve designers anglais les plus évocateurs et les plus influents du début des années soixante-dix. On lui doit en effet ces visuels énigmatiques, novateurs et stupéfiants, présents sur les toutes premières pochettes d’albums parus sur le jeune label Vertigo. C’est en partie grâce à l’élaboration patiente de cette série générique d’images surréalistes que le label est aujourd’hui devenu la plus addictive et la plus prisée des bibliothèques de musique rock progressive britannique.

D’emblée, la première tâche de l’énigmatique « Keef » chez Vertigo fût de concevoir le visuel de leur toute première parution : le Valentyne Suite, de Colosseum (VO 1, novembre 1969). Et déjà, dans cette pochette, on retrouve effectivement l’essence même de l’approche photographique anticonformiste de Macmillan : l’utilisation de film infrarouge, combinée à l’application directe de peinture sur les diapositives avant même que la pochette ne soit imprimée, n’étant en réalité qu’un simple échantillon de ce dont Keef serait capable si on lui accordait un plus grand champ et une plus grande liberté d’expérimentation. Heureusement pour lui – et aussi pour ceux qui achèteraient les disques –, Vertigo était prêt à lui donner cette carte blanche. Olav Wyper, qui participa au lancement en 1969, se souvient avoir rencontré Macmillan alors que ce dernier était encore étudiant : « J’ai été énormément impressionné par sa créativité, comment il assemblait des images qui racontaient une histoire. » Et dans l’ensemble, les gens du label – qui se contentaient de confier les bandes à Keef en lui demandant de revenir avec des idées – furent plus que satisfaits des visuels, qu’ils ont presque toujours utilisé sans les retoucher.   
            Le simple fait qu’un bon nombre de pochettes d’albums Vertigo fussent ouvrantes offrit à Macmillan l’opportunité de travailler à l’intérieur d’un format rectangulaire opposé au standard carré 30cm x 30cm. Un nouveau continent de possibilités créatives s’ouvrait grâce à ces nouveaux « formats cinématographiques » de paysages. Dès le début, Keef se les appropria et les amena naturellement à leur solution logique en concevant à son tour ses « paysages cinématographiques ». La campagne anglaise serait ainsi la toile de fond naturelle à ces séries de compositions figuratives – allégoriques ? – à la fois fantastiques et obsédantes. En réalisant des agrandissements à partir de pellicules de faible sensibilité, en teintant ensuite manuellement d’encre les images ainsi réalisées, Macmillan obtint un résultat qui semble tout droit sorti du croisement entre Le Magicien d’Oz et Nosferatu. Sans, toutefois, le côté « acteur ». Car nombre de personnages sur les pochettes de Keef semblent pris sur le fait, à l’instar de photographies documentaires « théâtralisées », ou bien comme si l’artiste avait voulu photographier un fantôme (cf. l’album éponyme d’Affinity, 6360 004, printemps 1970).
            D’une manière générale, l’image de l’artiste est reléguée à l’intérieur de la pochette ouvrante. Macmillan livre à sa place, au recto de l’album, une image typiquement « designed by Keef » qui, la plupart du temps, relève de l’exercice d’incongruité. Ainsi, parmi ces pochettes les plus troublantes, telle l’album de Rod Stewart de 1970, An Old Raincoat won’t ever let you down (VO 4, fin 1969), l’effet « sur-le-vif » produit par un vieux clochard en imperméable, en train de poursuivre un jeune enfant habillé dans ce qui ressemble à une chemise de nuit à la mode victorienne, représente pour le moins une contradiction radicale avec le clinquant coutumier de l’industrie musicale en même temps que la sempiternelle autocélébration des rockeurs aux cheveux longs.

En à peine deux années, Keef Macmillan réalisa pour Vertigo les pochettes des albums de Fairfield Parlour (From Home To Home, 6360 001, début 1970), Jimmy Campbell (Half Baked, 6360 010, été 1970), Manfred Mann (Chapter Three Volume Two, 6360 012, octobre 1970), Rod Stewart (Gasoline Alley, 6360 500, automne 1970), Warhorse (Warhorse, 6360 015, fin 1970), Beggars Opera (Act One, 6360 018, fin 1970), Cressida (Asylum, 6360 025, début 1971), Nirvana (Local Anaesthetic, 6360 031, début 1971) et Legend (Moonshine, 6360 063, fin 1971). Mais ce sont surtout les pochettes des deux premiers albums de Black Sabbath qui, à ce jour, demeurent sans conteste parmi les travaux les plus aboutis et assurément les plus célèbres de leur auteur. La photo sur l’album des débuts (VO 6, février 1970), prise devant le moulin de Malpedurham (au nord de Reading), représente l’image troublante d’un spectre féminin aux yeux caves, vêtu d’une toge noire, comme figé au bord d’un lac stagnant, et reste assurément parmi les images les plus marquantes, les plus hantées à avoir jamais orné la pochette d’un 33 tours. (Il parait que, si l’on y regarde de plus près, l’actrice engagée pour le shoot tient un chat noir…) À propos de ce choix, il ressort que les célèbres musiciens n’eurent même pas voix au chapitre. Ainsi, Geezer Butler : « On approuvait la pochette, mais ce n’était pas notre décision. On pensait juste que ça allait bien avec le nom. » Ou encore Tony Iommi : « Cela n’avait rien à voir avec nous. C’est la maison de disques qui a choisi de faire cette croix inversée à l’intérieur de la pochette ouvrante. » Malgré l’incompréhension quasi-générale, cette imagerie aura, au final, largement bénéficié à un groupe que l’équipe marketing de Vertigo s’obstinait désespérément à mouler en quelque chose comme les « Satanic majesties du pub-rock » de Birmingham. Culte ?
            Suite au succès phénoménal des débuts des « Sabs », Keef fût rappelé pour créer une pochette pour leur album suivant – album qui, à l’origine, devait s’intituler « War Pigs », en référence à l’une de leurs nouvelles chansons. Le bruit courait que Keef s’était chargé de transposer son interprétation toute personnelle de l’idée d’un « porc de guerre » sous l’éclairage cru de néons de couleurs, qu’il photographia de nuit dans une forêt noire comme l’ébène. Dans la foulée du carton planétaire du single Paranoid – un terme que, visiblement, personne dans les années 70 ne fut capable de définir –, l’équipe du marketing chez Vertigo décida de renommer également ce deuxième album Paranoid (6360 011, septembre 1970), tout en conservant le visuel surréaliste de Keef, mettant en avant le côté dérangeant de l’image sur la pochette qui, toujours selon ces mêmes têtes pensantes, sous-entendrait malgré tout la notion de paranoïa lorsqu’on découvrirait l’album dans les bacs des disquaires. Le groupe en vit les premières épreuves alors qu’il effectuait une tournée en Suisse mais, cette fois encore, malgré sa désapprobation, ne put rien faire pour le changer avant la date de sortie de l’album.
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Ce qui distingue l’œuvre de Keef de celle de l’équipe de designers la plus célèbre de l’époque, Hipgnosis, paraît être, en outre, un refus du modernisme, du professionnalisme, de la technique et du star-system – on ne trouve chez Keef ni typographie futuriste, guère de portraits de stars et encore moins de soucoupes volantes. En l’occurrence, si l’utilisation de la technique photographique permet à Hipgnosis de créer les éléments distincts qui leur serviront à élaborer leurs collages complexes, Keef préfère s’en servir pour capturer ses paysages granuleux, embrumés, aux frontières du surréalisme ; des photos qu’on croirait prises sur le plateau de tournage d’un film fantastique ou d’horreur à petit budget. Souvent vêtues de capes, de costumes de cirque ou encore d’accoutrements folkloriques post-hippies, des silhouettes fantomatiques se tiennent figées au milieu de paysages nécessairement déserts. Habituellement, les couleurs sont soit adoucies, estompées, soit trafiquées à l’excès. Une chaise à bascule, un carrousel, des épouvantails ou des têtes de poupées, nous suggèrent un autre monde, suranné, fait de débris et de rebuts, un monde pourtant étrangement familier, des lieux hantés par un passé de loisirs, où le soleil brille rarement – ou bien fixement –, où l’air est lourd et humide. Prises dans leur ensemble, on pourrait presque lire les pochettes des disques conçues par Keef comme les cartes d’un jeu de tarot. (Vertigo emportant le fameux « carré de dames » : Affinity, Black Sabbath I, Colosseum & Nirvana ?)
             Au cours de sa carrière, Keef sera amené à réaliser un peu plus de 1 500 pochettes d’albums, entre autres pour les labels Nepentha et Neon – labels dont le tableau de service oscillait généralement entre formations folk (Fresh Maggots, Dando Shaft…), rock (Hannibal, Greenslade, Raw Material…), parfois jazz (Chris McGregor…) et les chanteurs-compositeurs (Wil Malone…). La majorité de ces disques ne se vendit pas à l’époque, mais là n’est pas précisément la question. Macmillan s’est également rendu célèbre pour avoir représenté David Bowie en adolescent androgyne sur la pochette de son The Man Who Sold The World – pochette qui fût par la suite retirée du marché afin d’éviter tout risque d’outrage aux bonnes mœurs. Après avoir été le premier à filmer les débuts de la chanteuse Kate Bush, notre homme travailla également pour le cinéma et a, depuis, tourné plus d’une centaine de clips promotionnels. Toujours en quête d’innovations, il supervisa enfin l’unique concurrent (éphémère) de Top of the Pops : The Chart show.
             Depuis bientôt quatre décennies, l’engagement de Macmillan au sein de Vertigo n’a cessé d’inspirer photographes, stylistes de mode et réalisateurs de films. Et bien que ses créations fussent plagiées dans le monde entier, son gribouillage monosyllabique demeure toujours aujourd’hui, pour les nombreux « Vertigophiles », aussi énigmatique que les étranges et mystérieux scénarios figurés par cet art séminal : un art qui aura façonné l’identité esthétique du rock britannique pour les nombreuses années à venir.

Discographie sélective :

Affinity - Affinity / Al Stewart - Orange / Beggars Opera - Act One / Black Sabbath - Black Sabbath / Black Sabbath - Paranoid / Blue Mink - Our World / Chris McGregor's Brotherhood of Breath - Brotherhood of Breath / Colosseum - Valentyne Suite / Cressida - Asylum / Dando Shaft - Dando Shaft / David Bowie - The Man Who Sold the World / Design - In Flight / Fairfield Parlour - From Home to Home / Fair Weather - Beginning From an End / Fresh Maggots - Fresh Maggots / Hannibal - Hannibal / Heaven - Brass Rock 1 / Hungry Wolf - Hungry Wolf / Indian Summer - Indian Summer / Jimmy Campbell - Half Baked / Legend - Moonshine / Manfred Mann Chapter Three - Manfred Mann Chapter Three, Volume Two / Nirvana - Local Anaesthetic / Robin Lent - Scarecrow's Journey / Rod Stewart - An Old Raincoat Won't Ever Let You Down / Rod Stewart - Gasoline Alley / Sandy Denny - The North Star Grassman and the Ravens / Spring - Spring / Tonton Macoute - Tonton Macoute / Warhorse - Warhorse / Wil Malone - Wil Malone / ZiorZior



dimanche 20 mai 2012

Brown Sugar

Marsha Hunt est une chanteuse afro-américaine qui émigra à Londres au milieu des années soixante, en pleine période hippie, où elle connut une carrière de chanteuse, actrice et mannequin. Elle se fit connaître en jouant dans la mythique comédie musicale "Hair" - on la verra ensuite, dans un autre registre, dans le Dracula de 1973 -, posa à plusieurs reprises pour le magasine Vogue avant d'enregistrer ses propres morceaux dès 1969.
L'album "Woman Child", produit par Tony Visconti, comprend des reprises de morceaux de T. Rex et de Dr. John, et est enregistré avec Nick Simper, l'ex-bassiste de Deep Purple (selon Visconti, Marsha recherchait sincèrement à être prise au sérieux dans ce milieu principalement masculin). Hélas, son passage à la BBC lui vaudra d'emblée, en pleine ascension - et bien des années avant l'incident de Janet Jackson -, d'être bannie de la très prude chaîne...
Côté cœur, si elle fut d'abord mariée - pour régler une affaire de papiers, semble-t-il - à Mike Rattledge du mythique Soft Machine, elle fit également battre les cœurs de Marc Bolan puis de Mick Jagger, avec qui elle eut une fille, Karis. La légende dit même qu'elle serait en réalité la fameuse "Brown Sugar" des Stones...
La déesse Afro a pris sa retraite dans les années 80, pour se consacrer à l'écriture. Plus grave, elle dût lutter, durant des années, contre un cancer du sein. Triste nouvelle... Aussi mieux vaut-il peut-être en rester à la musique ?...

dimanche 6 mai 2012

I'm tellin' Y'all, it's sabotage

Adam "MCA" Yauch, le bassiste charismatique des Beastie Boys, vient de mourir à 47 ans.  Pour le coup, comme le nombre de vidéos visionnées sur Youtube et consorts a sûrement connu un boum au cours de ces dernières 48 heures, voici un florilège de quelques clips assez représentatifs de "l'essence Beastie Boys" (période 1989-1994). Respect (ou "comment trois punks blancs ont réussi à s'imposer parmi les plus grands rappeurs noirs").
 "Hey ladies" (sur Paul's Boutique)
"Jimmy James" (sur Check Your Head")
"Sure Shot" (sur Ill Communication, avec son 
fameux riff de flûte repiqué ici)
"Sabotage" (le morceau culte du même 
Ill Communication ! Avec une version live
qui déchire ici)
"Don't play no game that I can't win"
(...tout en Action Man !)